La goutte heureuse, 3 jours dans le massif du Chablais

Dès le train qui nous propulse à 300 kilomètres par heure vers les montagnes, les meilleurs initiateurs et initiatrices de l’Est parisien sortent les cartes IGN du Chablais, massif le plus septentrional des Alpes françaises : “On pourrait aller là”, “Eh, mais ça m’a l’air chouette, ce coin !”, “Tiens, le roc d’enfer, sympa comme nom pour une première course…” Du côté des débutants et presque autonomes, l’ambiance est plus détendue : quand certains s’assoupissent, d’autres regardent le paysage se vallonner graduellement par la fenêtre.

Arrivés à la gare de Thonon-les-bains, nous filons vers le gîte du bien nommé hameau de la Goutreuse d’en bas. Les mini-bus filent et serpentent dans la nuit étoilée, et sur les bas-côtés de la route nous pouvons déjà apercevoir quelques vestiges de neige tombés il y a plusieurs jours, bercés par de vieux airs de chansons françaises. C’est désormais l’heure de régler les skis dans la petite cuisine. Demain, nous nous réveillerons à l’aube (ou presque).

Premier jour : Pic du Ratti (1923m)

Les deux minibus se retrouvent sur le parking du col de l’Encrenaz, à 1453 mètres d’altitude. Le soleil n’a pas encore atteint le parking : ça pèle sec et chacun se bat avec ses chaussures pour les enfiler, avec encore les miettes du petit déjeuner coincées au bord des lèvres. Un double-test pour voir si les DVA fonctionnent bien, et nous voilà partis à l’assaut du pic du Ratti, 500 mètres plus haut.

Le soleil nous rattrape dans la montée, alors que les débutants et débutantes s’initient à leurs premiers pas glissés et leurs premières conversions. Les sommets alentours, eux, sont entourés d’une légère brume. Quelques heures après, nous voilà au sommet sans encombre. Quant à la vue, rien à signaler : nous sommes au cœur d’un épais nuage et même les flammes de Snapchat ne nous éclairent guère (oui, c’est une private joke).

Quelques chutes sans gravité émaillent la descente, on évite de près la bascule par-dessus une corniche pour certain·e·s, mais finalement chacun et chacune arrive à bon port pour l’exercice de recherche de victimes d’avalanche. Les dieux de la montagne sont avec nous, nous réussissons tous à sauver nos amis imaginaires dans le temps imparti (et même les initiateur·rices).

Le soir venu, les pieds au sec bien qu’un peu fourbus, non pas une, ni deux, ni trois, mais bien quatre tartiflettes égaient nos estomacs, avec des recettes personnalisées pour tous les relous du monde : sans viande mais avec tomates séchées, avec fromage de chèvre et avec cadavre, sans fromage de vache et sans cadavre… Bref, tout le monde en a pour son régime alimentaire et étonnamment, il y a beaucoup moins de débat sur la qualité du cubis de vin rouge ou du génépi.

Deuxième jour : Pointe du Floray (2055m) par Darbon et les chalets de Bise et pointe de Lachau (1960m)

N’ayant fait qu’une des deux courses citées en titre de ce paragraphe, je ne peux qu’imaginer à partir des dires des participants ce qu’il s’est réellement passé sur la pointe de Lachau : après une tranquille montée sur un chemin damé, puis entre les sapins et dans de la neige presque fraiche, tous et toutes se sont retrouvés sains et saufs pour pique-niquer avec vue sur le Mont-Blanc et les Dents du Midi, sous un soleil éclatant. La descente n’en fut que plus bonne, dans une poudreuse à faire rêver les cartels colombiens, et enfin la descente tranquille par le chemin du départ.

Le départ pour la pointe de Floray, quant à lui, commence dans un petit vallon, sur un chemin serpentant entre les sapins enneigés. Entre deux pas, le gazouillis du torrent en contrebas se fraie un chemin jusqu’à nos oreilles glacées. De loin en loin, de longues falaises apparaissent derrière le couvert de la végétation, sur le versant éclairé par les teintes orangées du soleil d’hiver. Quelques boucs, perchés sur de rares cailloux, nous observent lorsque nous rejoignons le hameau d’estive de Darbon, déserté en cette saison.

Les sapins laissant place à de rares arbres clairsemés, c’est le moment où le soleil daigne passer au-dessus du versant qui nous domine. Après une courte pause (bien méritée), nous rejoignons le lac de Darbon, recouvert de neige, et dont le sol alentour est parsemé d’arabesques de glace, sculptées par le vent. Un vaste cirque minéral s’offre à nous. Une photo de groupe plus tard, nous voici à l’assaut de la dernière centaine de mètres qui nous permet de rejoindre la pointe du Floray, à 2055 mètres. Un pique-nique au soleil, avec vue sur les Cornettes de Bises, le Mont-Blanc et les Dents du Midi plus tard, nous attaquons la descente

Une descente dont le seul valeureux splitboardeur se souviendra probablement, de par les bosses et les faux-plats innombrables, ainsi que notre champion de saut à ski, cascadeur à ses heures perdues, à peine effrayé par un vide de 5 ou 6 mètres de haut - ce qui ne lui a valu rien de plus qu’un masque fracturé. Sur ces entrefaits, nous arrivons au refuge de Bise, peuplé d’innombrables locaux bien avinés, qui auront la gentillesse de nous payer un coup à boire et de nous chanter une chanson d’ivrogne accompagné de leur accordéon. Nous redescendons à travers la brume de fin de journée, ragaillardis et fourbus, sur une gentille piste damée.

Troisième jour : La pointe d’Ireuse (ou presque) (1890m)

C’est le troisième jour, la troisième course, et ça se ressent vu le retard à l’allumage pour certains et certaines. Qu’importe, les premiers prêts partent depuis le gîte, ski au pied, pour cheminer à travers la forêt, jusqu’à une belle clairière où se dorent au soleil le hameau de Seytrouset, lui aussi inoccupé en cette saison.

Depuis le col, nous apercevons la suite de la course : une pente raide et parsemée de cailloux. “Ça devrait passer”, entend-on. Nous nous y dirigeons donc, convertissant à droite, convertissant à gauche, à droite, à gauche (avec une préférence pour la conversion à gauche, quand même). Dans une pente à 30/35 degrés, qui commence à se réchauffer, l’heure tournant, nous progressons lentement et arrivons finalement sur la crête. La pointe d’Ireuse est à portée de vue et de skis, mais nous devons penser à redescendre suffisamment tôt pour reprendre notre train. Nous mangeons donc là, profitant une nouvelle fois du panorama dégagé.

Sur la redescente, quelques espaces de neige bien conservée permettront de tracer de belles courbes, voire même d’y performer de magnifiques roulés-boulés plus involontaires qu’artistiques.

L’heure fatidique du retour sonne, et nous voilà dans un premier TER, puis un second, avec pour objectif d’attraper au vol un TGV qui n’est pas le nôtre (grève pour la réforme des retraites oblige, notre train étant supprimé). Après quelques appréhensions, nous voilà tous et toutes dans le wagon bar, avec nos skis, chaussures et sacs, et surtout avec la bénédiction des contrôleurs.

Tels de joyeux gaulois, nous voilà à organiser un festin avec nos restes de nourriture et de boisson du week-end, au milieu des passagers étonnés. Et c’est ainsi que se termine cette réjouissante parenthèse, filant à plus de 300 kilomètres par heure vers notre pays sans montagne, ni neige, ni peaux de phoques.

Une petite goguette pour terminer et à terminer : 

 

À chanter sur l’air de “Monday, Tuesday” de Dalida : 

Lundi,

Mardi,

Jour après jour, vivre et skier

Lundi, nous allons faire du ski,

Mardi, nous allons faire du ski,

Et mercredi c’est génépi

Moi, je vis d’amour et de neige

Je vis comme si j’étais sous sortilège

Je vis comme si j’étais butineuse

Comme si la poudreuse

Était éternelle

 

Moi, je vis d'amour et de refuges

Je vis comme si

La vie était une luge

J’ai tout le temps de mettre mes peaux

Foncer en haut, vers le bleu

 

Laissez-moi skier

Laissez-moi

Laissez-moi skier, glisser sans barrière

Tout l’hiver

Laissez-moi skier (Monday)

Laissez-moi (Tuesday)

Aller jusqu’à la cime bleue

 

À finir à la prochaine sortie…